Parler des bouleversements (partie 2) L’autre face du discours
Nous avons vu dans notre première partie la manière dont les changements interconnectés affectaient le quotidien et dont les personnes exprimaient leurs regards à ce propos.
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7/14/20246 min read


Nous avons vu dans notre première partie la manière dont les changements interconnectés affectaient le quotidien et dont les personnes exprimaient leurs regards à ce propos. Cependant, ceux-ci s’accompagnent d’idées qui, même si elles ne se transforment pas en actions concrètes, traduisent un souci de voir des changements favorables. Elles émettent souvent des idées ou des pistes traduisant un souci de s’adapter, de résister ou d’imaginer des solutions.
Des perspectives
Ces interventions, réponses ou conversations, fruit d’une réflexion critique personnelle ou partagée sur des questions du quotidien, traduisent une conscience des problèmes structurels et des disparités et autres problèmes sociaux. On y perçoit parfois aussi une envie d’éveiller la conscience collective ou de sensibiliser aux enjeux complexes et souvent cachés de notre quotidien. On peut avoir l’impression en écoutant ces propos, de la fin d’une époque où certains espoirs étaient permis et ne le sont plus et la lecture que l’on peut en faire peut sembler sombre.
Cependant, s’il est vrai que le discours peut être à la fois passionné et pragmatique, il est aussi est double dans la mesure où il dit des ressentis, des émotions, des critiques, des analyses, de la contestation, et qu’il est aussi plein de sens pratique. Il est porteur d’idées et montre que les possibilités d’un avenir meilleur ne résident pas seulement dans l’argent, dans la pierre ou la technologie. Il rappelle, par exemple, l'importance de renforcer notre action collective. Il explore, au-delà des solutions très pratiques portant sur des politiques ou des comportements à modifier, des pistes plus symboliques, plus souterraines.
La question est toujours, alors, de savoir comment s’adapter à ces nouveaux contextes ou environnements nouveaux et parmi les éléments que l’on repère dans ces discours, on trouve, par exemple, des mémoires, des formes de résistance, de créativité, des imaginaires, des représentations ou encore un sens du collectif. Ces derniers, ne pourraient-ils pas aider à faire face aux changements et aux nombreux défis qu’ils sèment dans leur sillage ? Peuvent-ils être considérés comme des pistes pour des changements favorables ? Peut-on sérieusement considérer que des mémoires, des valeurs ou des imaginaires pourraient s’avérer d’une quelconque utilité face à la gravité du réchauffement climatique ou de la crise des ressources ?
Des éléments divers
Les mémoires, par exemple, qui nourrissent le discours de ces personnes constituent un socle sur lequel elles s’appuient pour remettre en question le monde actuel. Elles sont, néanmoins, comme le bagage avec lequel elles envisagent de meilleures conditions. Ce sont elles qui sont réactivées quand quelqu’un dit à propos des changements et des difficultés qu’ils entraînent : « nous avons connu des périodes très difficiles et nous avons toujours pu nous en sortir. » Ainsi, construites à partir de ressentis variés, d’expériences, d’émotions, d’occultations, d’images diverses et entremêlées, ces mémoires sont porteuses d’un héritage auquel on obéit, mais qui aujourd'hui offre des références, qui s’avèrent pertinentes. Ces traces aident à envisager des lendemains meilleurs et fournissent des outils pour les imaginer. C’est sur elles que s’appuient ces personnes soucieuses d’inventer des pistes pour le futur.
Pour ce qui est de la dimension de résistance qui ressort de ces discours, elle se manifeste surtout à travers les réseaux sociaux. On y entend cette parole qui dérange, qui remet en question les institutions, qui ose dénoncer un système politique un contexte économique. Elle s’exprime dans un espace ou n’importe qui peut donner un avis, critiquer les dirigeants, partager un point de vue avec des millions de personnes et qui est potentiellement un contre-pouvoir ou une forme de résistance, bien que censuré par des algorithmes. Au cours des entretiens ou des conversations ordinaires, ceux qui sont habituellement silencieux montrent, eux aussi que d’autres voies sont possibles. Parmi les choses qu’exprime cette parole, il y a le fait qu’elles éprouvent le besoin de déchiffrer les faits les événements, de questionner les informations, d’échanger des points de vue. Tout cela est toujours plus fort dans les moments de crise.
Pour sa part, la créativité qui s’exprime dans ces propos prend, le plus souvent, la forme d’une réaction à une situation, un phénomène, une politique, un projet… Elle s’exprime dans la volonté de chacun de proposer des solutions aux défis du monde actuel.
Un autre aspect perceptible dans le discours de ces personnes est la force de l’imaginaire. Dans tout ce qu’elles évoquent, dans les conversations ordinaires où l’on se sent plus libre de refaire le monde autour d’un verre ou d’un repas, elles montrent l’importance d’imaginer de nouvelles manières de vivre. L'imaginaire s’exprime à travers représentations, symboles ou récits auxquels ces personnes font référence. C'est le cas, notamment, quand ces personnes ressentent le besoin de faire des comparaisons avec le passé, ou disent « il ne faut pas penser que ça ira comme dans un conte de fées, et que les choses rentreront dans l’ordre d’un coup de baguette magique ! » De telles remarques " sont imprégnées de symbolisme et de morale et reflètent des visions du monde et aspirations. Cela rappelle la capacité de l’imaginaire à rassurer et apaiser et là où l’on pense avoir des ruptures définitives, l’imaginaire aide, par exemple, dans l’interprétation et la lecture des faits. Ainsi, pour faire face à des situations nouvelles, pour nous prémunir, nous nous appuyons sur des symboles, des mythes et des rites qui véhiculent des significations profondes et des valeurs culturelles.
En dehors de ces questions d’imaginaire, on entend aussi dans ces discours, des allusions aux valeurs et repères. Il peut sembler surprenant d’en parler alors que bon nombre d’entre nous considère que celles-ci se perdent. Pourtant, elles sont présentes dans toutes les références spirituelles et morales sur ce qui, selon ces personnes, « doit se faire » ou sur ce qui « ne se fait pas » en termes de politique, de justice ou de liberté. Elles nous permettent également là où des repères s’effacent, de voir ceux qui se dessinent. On peut alors se dire que si elles sont aussi présentes dans le discours, c’est parce qu’à la fois stables et dynamiques, elles servent encore de balises aux attitudes, aux lois régissant les relations entre les individus. Elles peuvent donc encore guider dans les choix, décisions ou actions et influencer les interactions avec les autres, éloigner le doute face au changement.
Enfin, parmi ces éléments qui reviennent dans le discours, on trouve les liens sociaux. En effet, lorsqu’elles évoquent les bouleversements qui impactent leur quotidien, toutes ces personnes s’appuient sur les moments que l’on partage, sur ce que l’on construit avec les autres, que l’on vit ou transmet. Elles parlent aussi des moments de solidarité, de fête, de convivialité, bref, de tout ce qui nous unit aux autres. Elles rappellent ainsi combien les solutions aux problèmes dont elles parlent résident dans le collectif. Il est alors question de solidarités, de la capacité à faire cause commune, à se rassembler autour d’un projet commun ou à agir dans l'intérêt du groupe. Ainsi, même si nous sommes à l’ère d’une société axée sur l’individualisme, sur la compétition, l’égoïsme, ces personnes montrent que le collectif, la solidarité restent d’actualité. C’est la marque de la dépendance que nous avons les uns vis à vis des autres qui ressort.
Ainsi qu’il s’agisse d’une parole sur les réseaux sociaux, de réponses à des questions ou de conversations ordinaires, on a un discours qui remet en question des situations économiques comme des choix politiques. Néanmoins, dans cette parole, on note un souci de voir des situations s’améliorer. Elle offre des perspectives face aux changements que nous voyons, aux catastrophes que l’on nous annonce ou aux problèmes complexes et interconnectés du monde actuel. On y perçoit, une volonté de voir des changements favorables s’opérer. A mesure que les conjonctures et les contextes et les modes de vie changent, ils induisent des habitudes, des choix de vie, de travailler, de consommer, de jardiner que l’on pense nouveaux, mais qui bien souvent s’inspirent de représentations, croyances bien ancrées dans des expériences collectives. Ce sont celles-là qui se retrouvent dans les trois formes de discours évoquées en première partie.
On pourrait toutefois encore considérer qu’en ces temps ou l’économie et le profit gouvernent le monde valeurs, imaginaires et autres mémoires ne sont d’aucun intérêt. Ce serait oublier qu’ils sont exactement le terreau sur lequel reposent économie, politique ou profit. Ils sont de surcroît ce qui permet de vivre en société. Ils sont des outils de gestion des relations humaines et même s’il convient, évidemment, de trouver des solutions très pratiques adaptées aux multiples problématiques, le propos de ces personnes rappelle que d’autres aspects moins attendus que ceux habituellement proposés doivent être envisagés. Ceux-ci permettent de prendre en compte les questions de cultures de moeurs, de croyances qui, elles, ont un impact sur les développements et la perception de ce qui se joue à l’échelle mondiale.
