J'ai l’impression qu'on marche sur un seul pied.

Je trouve que la société dans laquelle nous vivons est malade par rapport à ce que j'aimerais qu'elle soit. Je pense aussi...

REGARDS 2

2/12/20255 min read

Que penses-tu de la société dans laquelle nous vivons ?

Je trouve que la société dans laquelle nous vivons est malade par rapport à ce que j'aimerais qu'elle soit. Je pense aussi qu'il y a des solutions qui sont quand même là, mais qui sont encore chacune un peu dans leur coin.

En Guadeloupe, on fait partie du monde occidental. Nous des occidentalisés. Nous appartenons à un monde occidental qui est dans une transition vers quelque chose, vers une fin de ce qu'il est.

Je pense notamment à la relation avec la nature, avec le vivant. On s'est coupé du vivant au fur et à mesure. Mais par ce biais-là, on se coupe de nous-mêmes. Un autre aspect dans lequel j’ai observé cette vision du monde, c’est la science telle qu'on la connaît. Elle s'est beaucoup développée sur l'approche analytique. Pour comprendre un système, un phénomène, on va le couper en petites parties et on va analyser chaque élément pour avoir une compréhension générale. Ainsi, on va avoir un spécialiste du foie, un spécialiste du cœur, un spécialiste des yeux, un spécialiste du nez, voire des sinus, enfin bref... Et celui qui te regarde de façon globale, il n'existe pas dans la société occidentale. On va aller le chercher en Asie, on va aller le chercher en Amérique du Sud, par exemple.

C’est à cause de ces visions du monde que je dis quand je dis qu'on est malade et que j’ai l’impression qu'on marche sur un seul pied. Pourtant, il existe d'autres façons de voir le monde, dans d'autres cultures, qu'elles soient d'une façon générale en Afrique, en Amérique ou en Asie, à travers souvent des spiritualités, je me suis rendu compte qu'on peut observer le monde autrement.

En fait, notre cerveau, il est capable d'approche plus globale. Et ce n'est pas un ou l'autre qui est à favoriser, mais c'est bien un équilibre entre les deux approches. Je trouve que ça manque beaucoup, en fait, au monde occidental et à nous qui sommes occidentalisés.

Pourtant, notre chance, c'est quand même quelque part qu'on est occidentalisés nous avons des ressources, mais nous n’en sommes pas forcément conscients. Nous avons une richesse liée à notre culture, notre passé, nos ancêtres. Elle est aussi en lien avec la proximité de notre culture avec d'autres cultures. Nous avons les ressources pour pouvoir créer quelque chose de différent. Et encore plus, nous, en Guadeloupe ou dans la Caraïbe, dans des espaces où, justement, il y a une rencontre de plusieurs cultures, de plusieurs mondes, de plusieurs origines. Nous pourrions, justement, proposer une autre nouvelle façon de voir, peut-être, de regarder le monde et d'être en relation avec la vie, avec nous-mêmes, avec le vivant que j’évoquais.

On est en position de le faire, mais ce serait comment ?

C'est la question que je me pose. Moi, je me dis, enfin la solution que je tente d'amener par rapport à mon activité de sylvothérapie, c'est d'apprendre à regarder le monde et la nature différemment et de pouvoir se regarder, parce qu'en fait, le truc, c'est de notre rapport à nous-mêmes dont il est question. Ce que j'essaie d'apporter, à travers le regard porté sur la nature, c'est la possibilité de revenir à soi, de s'accepter tel qu'on est, de se rendre compte qu'on a une certaine vision de qui on est par rapport à des choses extérieures. On peut regarder les choses, ouvrir notre perception. À ce moment-là, d'autres choses vont se créer.

Pour moi, c’est par là que je percevrais des issues. Il y en a sûrement d'autres, mais je pense qu’il y a des pistes à explorer par là.

À ton avis, quelles seraient nos forces pour cela ?

Moi, je trouve que notre force, c'est notre parcours. On peut se dire, qu’il est fait de souffrance, mais en fait, en même temps, c'est notre force. Le jour où on voudra bien la regarder. Elle est du citoyen guadeloupéen par rapport à son histoire, par rapport à l'esclavage, par rapport aux injustices, à la vie chère, au chlordécone, à l’eau et bien d’autres choses.

Pour permettre à ces forces de se déployer, il y a vraiment nécessité d'accepter toutes nos réalités en tant qu'individu et en tant que société aussi. Et c'est pour ça que, oui, on a une histoire particulière avec des difficultés. Mais si tu n'acceptes pas la réalité de ça, tu ne peux pas voir la force qu'il y a d'être né dans ce contexte-là. Pour moi, si on est né dans ce contexte-là, c'est qu'on a sûrement quelque chose un trésor quelque part derrière en fait. C'est ça mon histoire. C'est de là que je viens. Ou je reste là, ou j'avance. Et après, on peut avancer en marchant, en étant bien ancré. On peut avancer en tic-tac, on peut avancer de multiples manières.

On a tendance à se déprécier, mais, par exemple, la force d’une musique comme le zouk, c'était s'ancrer dans nos cultures, mais je pense qu’il s’agissait aussi d’aller plus loin à l'origine de leur culture, en s'ouvrant à l'Afrique, et en s'ouvrant de tout, à l'Occident. S’ouvrir en s’acceptant dans une large palette de ce que l’on est permet d’avancer.

As-tu l'impression que nous avançons en ce sens ?

Oui, il y a des aspects de notre qu'on apprécie bien plus qu’on ne le faisait autrefois. C'est le cas, par exemple, du gwoka. Oui, c'était une activité stigmatisée. Et puis les choses ont fait qu'une partie de la reconnaissance de notre culture est passée justement par notre réappropriation de cette musique. J'imagine qu'il y a toujours des réfractaires, forcément, mais une grande partie de la population guadeloupéenne, reconnaît cette expression comme la leur. A une époque, les gens cherchaient surtout à ressembler aux colons, à l'Occident. Aujourd’hui, ce n’est plus autant le cas.

Au-delà du gwoka, de manière générale, il se crée un "nous", qui nécessite de s'aimer en tant qu'individu. Cependant, évidemment, tu ne peux pas créer un "nous" solide quand chacun ne sait pas quelle est sa place dans ce "nous". C’est un processus qui avance. La société et les individus se construisent en même temps. Ça se fait ensemble, et j’y crois fortement, même si je dis que notre société marche sur un pied.