A quoi peut bien servir la créativité face aux bouleversements ?

De manière générale, les situations de crise comme celle de la pandémie de coronavirus, contraignent chacun à trouver sinon des solutions aux problèmes

ARTICLE - COVID

7/24/20245 min read

De manière générale, les situations de crise comme celle de la pandémie de coronavirus, contraignent chacun à trouver sinon des solutions aux problèmes qui se posent, au moins des moyens de traverser ce moment par le biais de pratiques nouvelles, de postures, d’états d’esprit ou même de liens sociaux, bref, à être créatifs.

Dans les moments d’échange, des personnes racontaient comment elles traversaient cette épreuve, comment elles organisaient leur quotidien, maintenaient les liens avec leurs proches ou trouvaient des moyens de se prémunir de la maladie et de ses contrecoups (isolement...). Elles rappelaient aussi combien la pandémie les avait forcées à trouver d’autres manières de faire les actes qui en temps normal vont de soi, à trouver d’autres façons de vivre, de se divertir, de sortir, de maintenir les liens sociaux en dépit des confinements, des distanciations sociales, des couvre-feu ou des obligations vaccinales.

En fait, ce que l’on perçoit autant dans leurs propos que dans les actions qu’elles décrivaient, c’est ce que toute épreuve oblige à faire pour moins souffrir ou pour ne pas se perdre : s'adapter, trouver des stratégies, à imaginer des manières de vivre, de se protéger, se préserver ou se prémunir.

Reconquérir des espaces de liberté

Ces personnes racontaient comment leurs habitudes avaient changé, comment elles avaient fait des choix de vie nouveaux, adopté des manières nouvelles de s’alimenter de socialiser, de consommer, de s’adapter, de jardiner, de nouvelles priorités. Les pratiques qu’elles parvenaient à poursuivre (comme rencontrer ses proches) apparaissaient alors comme des formes de liberté dont elles se sont emparées, en dépit des interdictions. Il semblait bien, alors que cette liberté de réinterpréter les pratiques, d’agencer les pratiques était conquise à chaque instant par ceux qui y en ressentaient la nécessité. Dans ce contexte où beaucoup se sont senties privées de liberté, ce qui s’inventait résonnait comme une conquête ou chacun devait faire preuve de la capacité à ruser pour ne pas subir.

Au fond, cette créativité était, elle-même, comme une liberté que le quotidien oblige à renégocier pour occuper l'espace public et reprendre la parole. La créativité traduisait alors la façon dont chacun accommodait à sa convenance, pour construire ses manières de se divertir. Ces personnes se sont donc emparées de rôles différents que ceux dans lesquels elles pouvaient être enfermées. C’est pour tout cela, que l’on peut parler d’espaces de liberté dans le sens où l’on prend de ce qui est à disposition, mais aussi parce que l’on construit d’autres perspectives.

Apaiser

Leurs propos montraient comment les groupes autant que les individus innovaient, créaient pour faire face à la maladie. Ainsi, de nouveaux modes de vie s’installaient et montraient l’importance de mettre en place des manières concrètes d’affronter une situation difficile à vivre ou un contexte nouveau ou violent. Ces nouvelles manières de faire venaient alors apaiser des souffrances, peurs et anxiétés puisque la rupture de ce que l’on croyait être la normalité libère toujours plus les peurs y compris dans l’interprétation et la lecture des faits.

En raison du stress, de la peur chez des personnes de tout âge, il est sans nul doute une dimension importante apportée par la créativité qui est celle de l’apaisement. Elle aidait à transcender la la solitude, les doutes, les limites fixées par les confinements, interdictions, les obligations… C’est cet apaisement que beaucoup de personnes ont cherché dans la reprise d’activité sportives, artistiques, méditatives, spirituelles… Ce sont toutes ces mesures qui pour beaucoup ont contribué à combattre les symptômes de dépression, d’insomnie, d’anxiété ou le sentiment de perte de contrôle.

C’est en ce sens que la créativité peut vue dans un tel contexte comme celle qui apaise peurs et traumatismes. Cette idée rejoint l’approche que faisait Mélanie Klein qui voyait la créativité comme une impulsion. Aussi, la créativité pourrait bien avoir revêtu une forte dimension thérapeutique, « réparatrice »[ KLEIN Melanie, Les situations d’angoisse de l’enfant et leur reflet dans une œuvre d’art et dans l’élan créateur », dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1987, p. 254-262.], collective et ainsi constitué un moyen de soulager les esprits.

Trouver des explications aux faits

Depuis le début de la pandémie de coronavirus, lorsque des personnes s’exprimaient, on sentait bien que les interrogations étaient nombreuses. Elles portaient sur l’évolution, l’origine, la contagiosité ou la fin de cette épidémie. Elles concernaient aussi, peu à peu, les solutions à trouver, l’intérêt ou les bienfaits des vaccins ou le bannissement pour ceux qui ne sont pas vaccinés… Au fond, bon nombre de ces questions portait sur des questions fondamentales telles que la vie, la mort, le deuil, Dieu… Les œuvres d’art, les nouvelles manières de travailler ou de rendre hommage à ses morts ont été autant de façons d’apporter des réponses. Elles ont permis de s’expliquer, de comprendre ce qui s’est joué dans ce contexte et d’expliquer les problèmes qui se posaient.

La créativité était alors aussi celle qui permettait à chacun d’apporter ou de se trouver des réponses autant à l’échelle individuelle que collective. Elle a aidé ces personnes à s’expliquer ce qu’elles vivaient, à l’articuler, à le supporter, à ne pas craindre le futur.

Cette créativité qui prend la forme construction, création et réactivation de survivances montre qu’au fond, il n'y a jamais eu de renoncement à soi.

Continuer de vivre en société

En plus d’aider à interpréter ce que l’on vit ou d’apaiser, la créativité a aussi permis de continuer de rencontrer les autres, d’échanger avec eux, de partager des expériences, des savoir-faire. Cela, on l’a vu quand, entre peur et confusion, chacun cherchait à s’organiser et échangeait avec ses proches, ou à apprendre d'autres manières se divertir, de cuisiner ou de travailler. La recherche de ces alternatives était aussi une manière de tisser ou de retisser du lien et l’on sait l’importance dans un tel contexte de ne pas être isolé. On a, en effet, pu voir les situations de personnes désemparées parce qu’isolées, ou entendu parler de cas de désespoir.

Cependant, en dehors de ces situations, pour bien des personnes, cela a été l’occasion de renforcer les rapports sociaux ou de formuler leur refus de l’isolement. C'est un peu comme si elles n'avaient pas accepté de se laisser dominer par la peur. De plus, face à la dureté de l’idée d’une distanciation sociale, c’est aussi là la résistance du lien d’appartenance qui se manifeste. Ainsi, les formes de créativité vues ici agissaient telles des formes de survie et contribuaient à éviter une sorte d’effacement social.

S'adapter à l'incertitude

Au fond, ce qui s’est joué en cet instant particulier a obligé chacun à trouver un vocabulaire, des combinaisons, des arrangements, l’expression des ressentis variés. C'est sans doute tout cela aussi qui apaise, qui aide à créer de nouveaux ancrages, de nouvelles identités.

Cette créativité témoigne de la capacité des personnes à ne pas se laisser déposséder de leurs émotions, ou impressionner par des rumeurs ou par le comptage du nombre de morts, de cas, par des pourcentages par régions ou par des débats incessants. Elle est aussi celle qui a aidé à ne pas se perdre, à gérer l'absurde des situations, à se réapproprier une parole souvent confisquée par experts et politiques.

On peut aussi se dire qu’en réalité toute crise, a fortiori, la crise globale inédite induite par cette pandémie, oblige à des ouvertures. Dans la réalité, à mesure que l’on limite des libertés, des créativités se développent non pas seulement pour se rebeller, mais parce qu’il est dans la nature du vivant de contourner les difficultés.